Bendik Giske (NO/DE) est un artiste et saxophoniste dont l’utilisation expressive de la physicalité, de la vulnérabilité et de l’endurance lui a déjà valu de nombreuses critiques élogieuses. On peut l’entendre dans son premier album Surrender, sorti début 2019 sur Smalltown Supersound, que l’on peut qualifier comme dénudé à l’extrême : pas d’overdubs, de boucles ou d’effets. Juste son corps, son souffle, le saxophone et un espace physique résonnant, et aussi beaucoup de micros. Le corps est important pour Bendik, encore plus qu’en tant que musicien acoustique. Pas seulement dans la force et le contrôle musculaire requis pour accomplir une respiration circulaire au saxophone, une technique inhabituelle à l’effet hypnotisant. Cela se reflète également dans la tradition de la danse qu’il pratiquait lorsqu’il était enfant à Bali – où il partageait son temps entre Oslo avec ses parents artistes – et qu’il appréciait dans le cadre d’une épiphanie de musique électronique dans sa ville natale d’adoption, Berlin. Un corps impliqué dans son identité queer et la création de son propre son qui s’épanouit non seulement sur disque mais aussi dans des performances scéniques saisissantes et incarnées. En tant que tel, dans le passé, Bendik a comparé sa performance à la transmutation de la musique électronique à travers tous ses défauts humains, comme s’il devenait une machine. Avec son deuxième album, Cracks, il introduit un nouvel ensemble de paramètres pour travailler contre les processus automatisés de sa mémoire musculaire. Sa décision de collaborer avec le producteur André Bratten et son vaste studio de machines électroniques, le voit jouer dans le nouvel espace résonnant de ce studio. Dans un sens, vous pourriez l’appeler musique générative – un terme inventé par Brian Eno pour décrire la musique faite dans un ensemble de règles qui peuvent constamment évoluer au sein de ce système. Mais ici, les seuls algorithmes à l’œuvre répondent aux contraintes (ou paramètres) auto-imposées comme la respiration circulaire susmentionnée. En tant que pratique, il induit chez le joueur – et peut-être aussi l’auditeur – une sorte d’état altéré, plus ouvert à la découverte qui, en tant que cycle sonore, défie le temps. Cette atemporalité fait allusion à la notion de « temps queer » du théoricien José Muñoz, qui est une chronologie tout autre que celle par défaut. Si ce nouveau processus de studio-instrument a rapproché Bendik Giske de l’homme-machine, c’est aussi un moyen de combler la séparation – ou la fissure – entre les deux. Ce genre d’espace liminal, selon lui, est à chérir.
- Flutter
- Cruising
- Void
- Cracks
- Matter (part 3)