Dans Friend Opportunity, Deerhoof atteint une forme d’extase musicale que l’on pourrait comparer à « l’Inverted Claw », ce geste d’Elvis au sommet de son inspiration. Leur musique, exultante et imprévisible, emporte l’auditeur dans un flux de surprises et de révélations. Chaque morceau, de « Perfect Me » à « Matchbook Seeks Maniac », multiplie les ruptures, citations et références, convoquant tour à tour les Beach Boys, le Who ou encore Brahms, pour un résultat à la fois foisonnant et lumineux. Là où leurs précédents albums jouaient beaucoup sur les silences et le vide, Friend Opportunity choisit au contraire de saturer chaque espace, d’habiller chaque recoin sonore. Le disque se révèle plus groovy, sensuel et dansant que jamais, avec des titres comme « Believe in E.S.P. » ou « Choco Fight » qui basculent sans prévenir de la funk chaloupée à des élans presque liturgiques. Comme l’a résumé Mike Watt en parlant de son propre groupe, Deerhoof n’écrit pas des chansons mais des rivières : des flux sonores ininterrompus qui emmènent l’auditeur d’un paysage sonore à l’autre, entre fulgurances mélodiques et décharges d’énergie. Les influences sont multiples et hétéroclites : riffs à la Chavez, orages métalliques inspirés de Stravinsky, expérimentations dignes de Gastr del Sol, énergie brute de Led Zeppelin, ou encore la folie inventive des groupes japonais Ex-Girl et Melt Banana. Mais plus que des citations, c’est une démarche qui rapproche Deerhoof du hip-hop, qui depuis des décennies repousse sans cesse les limites du populaire. Friend Opportunity incarne cette même liberté : réinventer le rock en laissant l’imagination filer sans barrière, avec l’enthousiasme d’un éternel apprentissage. Deerhoof prouve ici que son énergie créative est inépuisable, toujours en renouvellement.