Sergio Sayeg, alias Sessa, a toujours été fasciné par ce qu’il appelle le bazar de la musique : sa nature accidentelle et tortueuse, un chemin sur lequel les musiciens et le public peuvent atteindre un dessein supérieur. Un amour suprême si vous voulez. Alors que le premier album de Sessa, Grandeza en 2019, explorait les plaisirs corporels et la douce ivresse d’être amoureux, son nouvel album, Estrela Acesa (que l’on peut traduire par “étoile étincelante”), regarde vers le ciel et réfléchit à l’amour à la fois sensuel et spirituel, dans les affres des effets secondaires qui en résultent. Né à São Paulo mais se sentant chez lui partout, Sessa a conçu son nouvel album comme un pont pour relier les royaumes terrestres et astraux de la musique. Une joie sensuelle parcourt les douze titres d’Estrela Acesa. Tout est là dans les deux minutes concises de “Gostar do Mundo”, le morceau d’ouverture qui joue avec le sentiment de tension parfois associé à la musique brésilienne : la lumière tropicale ensoleillée et les bonnes vibrations mais aussi l’impossibilité même d’en profiter avec  le monde en pandémie, un président fasciste… Une musique brésilienne avec des touches à la Erasmos Carlos et João Donato, mais la plus grande influence au niveau du rythme est ici le roots reggae de Johnny Clarke. Dans le légendaire disquaire new-yorkais de l’East Village où il travaillait, Tropicália in Furs, Sessa s’est immergé dans les nombreuses splendeurs des sons qui se sont mélangés autour de lui. Tout en chantant dans son portugais natal, il privilégie le minimalisme et la franchise poétique des auteurs comme Bill Callahan, Nick Drake et Leonard Cohen, associés aux timbres et textures de chercheurs spirituels comme Pharoah Sanders, Alice Coltrane et Yusef Lateef. Des pointes de ce jazz libéré ont d’abord émergé sur Grandeza, en revanche sur Estrela Acesa, les superbes orchestrations offrent une douce transcendance. Au premier plan se trouve l’interaction nuancée entre Sessa et son trio composé du bassiste Marcelo Cabral et du percussionniste et coproducteur Biel Basile. Il y a aussi les chœurs et les percussions de Ciça Góes, Ina, Paloma Mecozzi, et Lau Ra, offrant une élision entre chaque passage soigneusement travaillé, entrelacé avec l’élégante flûte de Gabriel Milliet. Tout est rehaussé par l’orchestration fournie par l’arrangeur biélorusse Alex Chumak et le new-yorkais Simon Hanes, donnant à Estrela Acesa une sensation à la fois minimale et opulente ; les chansons s’épanouissent progressivement dans un paysage luxuriant et fertile. “Cançao da Cura” (“chanson de guérison”) est une chanson de rupture dans la tradition de Paulinho da Viola ou de Baden Powell, mais elle parle aussi des propriétés cathartiques que peut avoir une telle musique. Sur le morceau instrumental serein “Helena”, Chumak et Hanes transmettent un sentiment intense avec leur travail sur les cordes orchestrales. Le résultat sonne comme une pièce maîtresse de l’album. On pense au son de Rogério Duprat sur ces fameux disques de tropicália ou Walter Branco sur le sublime Previsão Do Tempo de Marcos Valle, et surtout le légendaire arrangeur Arthur Verocai. Estrela Acesa est un album d’envies contradictoires dans un doux équilibre. A la fois intime et grandiose, Sessa trouve des raisons pour célébrer la magie de la vie au milieu de la réalité écrasante du présent. Il y a une lumière à trouver dans les ténèbres dévorantes.

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