Depuis 1970, l’un des grands compagnons et amis de l’auteur-compositeur et plasticien Terry Allen était l’écrivain et critique d’art Dave Hickey, parfois acariâtre mais toujours brillant, avec qui il s’affrontait sur des sujets musicaux, visuels et autres. Cette réédition lui est dédiée in memoriam, à la suite de son décès en 2021. Dave, compatriote texan pagayant à contre-courant de l’hermétisme du monde de l’art new-yorkais, était lui-même un auteur-compositeur accompli, et Terry et lui se sont mutuellement poussés à affiner leurs pratiques respectives. En 1983, les deux hommes étaient inséparables et la présence acerbe mais chaleureuse de Dave Hickey hante l’histoire et les coulisses de Bloodlines, l’album que Terry Allen a sorti en juin de cette année-là. Beaucoup de sang et d’encre a coulé. Malgré les doutes commerciaux, la reconnaissance critique n’était pas en reste. En 1983, contre toute attente, le disque prenait de l’ampleur dans le milieu underground par le bouche-à-oreille même s’ils n’étaient pas faciles à trouver à l’époque. Le bouche-à-oreille a commencé entre collègues artistes et dans l’air raréfié du monde de l’art, puis, après la sortie en 1979 de Lubbock (On Everything), il a circulé plus loin, parmi les musiciens et les fans de outlaw country, un sous-genre et une scène peu structurés (à tous égards), nommés en partie d’après l’essai de Dave Hickey de 1974 intitulé In Defense of the Telecaster Cowboy Outlaws. Les premiers fans comprenaient un contingent surdimensionné de potiers et de motards, en raison, respectivement, d’amis céramistes enthousiastes et d’un soutien inattendu de Smokin the Dummy (1980) dans le magazine Easyriders. Dans ce quatrième album aux multiples facettes, Terry Allen contemple la parenté – la façon dont le sexe et la violence suturent et rompent les liens de la famille, de la foi et de la société – avec un ton cinglant satirique et affectueux. Enregistré au coup par coup aux Caldwell Studios de Lubbock, lors de sessions s’étalant d’août 1982 à janvier 1983, Bloodlines a été publié par Terry Allen, comme tous ses disques précédents, sur son propre label Fate Records. Il a écrit deux chansons comme des thèmes pour des pièces de théâtre : l’idylle de Pasadena “Oh What a Dangerous Life” pour la pièce de Joan Hotchkiss de 1982, Bissie at the Baths, et l’hymne de gospel “Hally Lou” pour la pièce du même nom de sa femme et collaboratrice Jo Harvey Allen en 1983. Bloodlines est le premier de plusieurs albums à revisiter des sélections de Juarez, son premier album sorti en 1975, avec des arrangements complets : une version comique de “Cantina Carlotta” et une terrifiante interprétation de “There Oughta Be a Law Against Sunny Southern California” avec Jesse Taylor. L’irrévérencieuse ballade du randonneur d’autoroute damné “Gimme a Ride to Heaven Boy” (avec Joe Ely), dans laquelle Jésus vole la voiture et la bière du narrateur pour une virée dans l’au-delà, reste l’une des préférées des fans. “Manhattan Bluebird”, une complainte étonnamment sérieuse (et étonnamment émouvante) sur l’insularité culturelle et le provincialisme d’une New-Yorkaise trompée par son prétendu cosmopolitisme, possède l’une des plus belles mélodies en mineur d’Allen. En clôture de l’album, le chœur de “Bloodlines (II)” compte vingt-cinq amis et membres de la famille dont Dave Hickey, Joe et Sharon Ely, Stubb (célèbre pour sa sauce barbecue), ses fils Bukka et Bale Allen, ainsi que de la fille de Lloyd, Natalie Maines, âgée de huit ans, qui fera plus tard partie des Dixie Chicks – un véritable témoignage du pouvoir des liens du sang !

  1. Bloodlines (I)
  2. Gimme a Ride to Heaven Boy
  3. Cantina Carlotta
  4. Ourland
  5. Oh Hally Lou
  6. Oh What a Dangerous Life
  7. Manhattan Bluebird
  8. There Oughta Be a Law Against Sunny Southern California
  9. Bloodlines (II)
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